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Le Cheval Bleu Coktail Jet, leader des étalons français en 2002 et 2003 Autres étalons cités Buvetier d'Aunou, Camino et Cygnus d'Odyssée |
Prix d'Amérique 96 Portraits de champions, trois semaines |
Coktail Jet |
Le Prix d'Amérique est la référence absolue, la course que chaque fanatique des trotteurs rêve de gagner un jour. Echéance magique, l'événement déplace les foules de toute l'Europe et, si une rencontre entre chevaux d'exception passionne les sportsmen de la France entière, c'est bien ce bal unique et grandiose se déroulant sur l'anneau noir de la piste de Vincennes.A l'inverse des galopeurs, où nous venons de voir l'invaincu Lammtarra, l'Invisible en arabe, se retirer après seulement quatre courses et des triomphes de grande classe dans les trois plus grandes compétitions d'Europe : Derby d'Epsom, King George, Arc de Triomphe, les carrières des grands trotteurs durent souvent longtemps pour notre plus grand plaisir et, chaque année, le défi pour l'entourage des champions consiste à les amener au sommet de leur condition, le dernier dimanche de janvier.
Chaque vainqueur du Prix d'Amérique devient star, reconnue du grand public. Au travers du siècle, les envols de la pelote blanche du roi Ourasi, la grâce d'Uranie, la force de Bellino II, la classe de Jamin, l'élégance de Gélinotte ou le brio de Roquépine sont devenus les références absolues, les piliers de la mémoire collective des amoureux du trot. Penser encore à eux, les imaginer à nouveau égratignant le mâchefer dans leur effort sublime réchauffe les coeurs.
Dans l'histoire, les trotteurs français se sont taillés la part du lion. Principalement à Vincennes mais également sur les anneaux de vitesse du monde entier.
Actuellement, la génération des "C" peut inquiéter les défenseurs absolus des frontières hexagonales, d'une race pure française - même si l'on peut toujours douter de la réalité d'une pure race quelque part - ou d'un métissage à petite dose. En effet, tour à tour, Carpe Diem, Cygnus d'Odyssée et Coktail Jet, trois franco-américains, ont triomphé dans les Critériums des 3, 4 et 5 ans. Escartefigue, le meilleur 3 ans actuel, se trouve quant à lui dans une situation plus habituelle, avec dans sa lignée le vieux sang nord-atlantique de Calumet Delco et de Sam Williams.
En effet, les croisements France-U.S.A. ne datent pas d'hier - Uranie, la grande classique des années 20 ayant donné Ogaden et Kairos, l'aïeul d'Ourasi par son mariage avec l'américain The Great Mc Kinney - mais il est fort à la mode en raison du succès constant d'étalons comme Florestan, fils de Roquépine par Star's Pride, Kimberland et des excellents premiers résultats du pur américain Workaholic.
Même si Ourasi, par exemple, porte quelques gouttes de sang nord-américain, l'American blood pur, le standardbred, à priori plus précoce et plus rapide que tenace et de plus surchauffé par les joutes exténuantes de l'Hambletonian et des autres grandes courses pour trois ans, s'est rarement révélé capable de rivaliser avec les meilleurs produits du terroir hexagonal, purs ou au métissage édulcoré, une fois la force de l'âge venue. Le cheval français, trottant peut être moins naturel au départ mais fort, dur et majestueux, une fois le métier acquis, restait maître chez lui. Certes, les parcours de tenue de la difficile et sélective piste de Vincennes lui convenaient à merveille mais il se montrait néanmoins capable de triompher à New York comme partout en Europe et même sur le mile de l'Elitlop qui n'a pourtant jamais été le tracé de sa meilleure expression.
Plus spécifiquement, le Prix d'Amérique était son apanage. Considérant uniquement les 60's, 70's et 80's, seuls, les Hanover, Nike, Delmonica et Dart réussissaient à rompre l'hégémonie au palmarès de la grande épreuve de janvier.
Ourasi, merveille des merveilles, consacrait ce règne en établissant le record absolu de quatre victoires dans le Prix d'Amérique.
Puis, fait nouveau, depuis quelques années, les trotteurs d'âge français ont quasiment déserté les joutes internationales et les champions étrangers restent sur un mémorable hat-trick dans le Prix d'Amérique grâce à Queen L, Sea Cove et Ina Scot. Et ce malgré Vourasie, toujours merveilleuse à Vincennes, mais bien esseulée dans ce concert de ténors.Peut-on dès lors annoncer le déclin de l'empire équin français quand presque tous les Internationaux de Vincennes et de Cagnes sur Mer durant l'hiver 95 reviennent aux Ina Scot, Queen L, Houston Laukko, Activity, Lady Snart, et autres Shan Rags ou Promising Catch ? Non sans doute ni se féliciter de l'absence des flèches suédoises Copiad et Zoogin ainsi que de la baisse de régime de l'étonnant Pégase solitaire Sea Cove.
Différents arguments peuvent permettre d'expliquer en partie le phénomène. Tentatives sommaires, car avec les chevaux, l'humilité reste souvent le meilleur garde-fous.
Le nouveau tracé de la piste de Vincennes plus rapide mais moins sélectif que l'ancien convient désormais aux trotteurs de sang américain car la montée d'antan sanctionnait souvent le manque de tenue des plus hardis d'entre eux; cela dit, le pur Français Abo Volo aurait battu le record de la piste en 1'14"5 dernièrement s'il n'avait été déclassé pour être légèrement sorti de la piste.
Parallèlement, l'élevage et l'entraînement des pays scandinaves, en partie grâce à des achats judicieux en France (Tibur) et aux USA, connaissent actuellement une immense réussite, sur toutes les distances. Les deux championnes Queen L et Ina Scot possèdent, par exemple, des origines franco-américaines. Les temps changent ; les champions nordiques ne sont plus uniquement des monstres de vitesse, spécialisés sur le mile, comme à l'époque des illustres Pershing, The Onion ou de l'époustouflant Mack Lobell. Leur appétit pour les riches allocations du meeting d'hiver de Paris-Vincennes se développe et ils devraient être nombreux à venir y participer, cette année.
Enfin, même si Ourasi, Une de Mai, Jorky ou Idéal du Gazeau étaient déjà excellents tout gosses avant d'être géniaux dans la force de l'âge, la fréquence et le rythme des compétitions pour jeunes s'affichent de plus en plus élevés et pourraient, peut être, expliquer l'incroyable série "malchanceuse" frappant l'élite tricolore depuis quelques années. Quand le trotteur français triomphait à Milan ou New York, Naples ou Munich, Solvalla ou Vincennes, c'était le plus souvent le fait d'un athlète d'exception dominant déjà ses concitoyens de la tête et des épaules; or, depuis quelques années, les meilleurs de chaque génération ont disparu prématurément des pistes. Alors, qu'auraient fait Sancho Pança, Ténor de Baune, Ultra Ducal, Verdict Gédé et Vivier de Montfort, Buvetier d'Aunou contre Queen L, Sea Cove et Ina Scot dans les trois dernières éditons du Prix d'Amérique ou contre Copiad dans l'Elitlop de Solvalla ?
A défaut de réponse, il serait bon plutôt de s'enthousiasmer de la multiplication des horizons et talents équins en cette fin de siècle, marquée par une succession de régences courtes et mouvementées. De cette dynamique peut naître la passion pour l'édition 1996 du prix d'Amérique. Aucun cheval, actuellement, ne domine réellement l'Europe. Fin janvier, ils seront dix-huit à briguer le titre de crack. Alors, qu'il soit scandinave, allemand, italien, américain, métis de martien et de lilliputienne, mayennais ou normand, quelle importance du moment que le meilleur soit couronné et que son triomphe enflamme nos coeurs comme le firent avant eux Ina Scot, Sea Cove, De Sota, Delmonica Hanover, Queen L ou Ozo!
Et puis, juste pour le plaisir d'admirer, dans son geste, sa force et son aptitude si particuliers un grand crack français, il serait quand même étonnant qu'un nouveau Jamin ou un autre Bellino II ne gambade pas dans un herbage bien de chez nous, d'ici l'an 2000.
Avec Vourasie et Abo Volo, il est le grand espoir de l'entraînement français au départ de la grande course. Flèche acérée, il porte un nom explosif, prédestiné car il est rare de voir un trotteur finir aussi vite que lui. A l'image d'Ourasi, il vole dans la ligne droite, semblant uniquement accroché à la piste par l'adhésion des roues du sulky de son driver. Capable également d'imposer son rythme, tête et corde, comme dans le Prix Ballière, certains l'attendent au tournant des 2 700 mètres du Prix d'Amérique. Pourtant, il a prouvé qu'il était le meilleur 5 ans actuel en France et qu'il pouvait tenir, en triomphant cet été dans le Critérium des 5 ans... et ce sur 3 000 mètres. Franco- américain de naissance, il porte, génétiquement gravée en lui l'élégance de son grand père Fakir du Vivier et - n'oublions surtout pas le côté maternel - la rapidité du chef de race U.S. Super Bowl. Son sang est un mélange savant, à consommer sur le vif avec délectation : il s'appelle Coktail Jet.
Elle a fini troisième, et seconde de la grande course. Imposante - l'an passé, Ina Scot et la minuscule Queen L semblaient cachées derrière elle avant de l'ajuster à l'arrivée de l'Amérique puis du Prix de France -, un peu dégingandée, elle ne possède sans doute pas le panache de son illustrissime demi-frère Ourasi mais son talent et son courage sont néanmoins immenses. La France entière espère la voir gagner. Pour tous, c'est la dame de coeur : il s'agit bien sûr de Vourasie.
Vourasie
Albert Viel, son propriétaire-éleveur a tout gagné sauf la plus belle. Abo Volo peut-il, enfin, faire mieux que Catharina ou Mon Tourbillon et ainsi vaincre le signe indien ? Il est beau, grand et ses naseaux dilatés, légèrement en trompette, soufflent un vent de revanche, tel un cheval de Picasso. Il a guerroyé talentueusement sur les pistes étrangères depuis deux ans et son expérience face aux meilleurs scandinaves et américains est unique en France, à l'heure actuelle.
Abo Volo
Ils sont les dauphins de Coktail Jet dans la génération des "C". Camino, Capitole et Cèdre du Vivier ne peuvent pas être plus différents les uns des autres.
Camino se présente comme un trotteur de poche, minuscule alezan aux crins lâvés et à la large liste blanche en tête. Petit bandit de grand chemin, un large toupet lui barre l'oeil et sa hargne est telle que les meilleurs le craignent quand ils sentent son souffle dans leur dos. Et puis, il ne serait pas le premier "poney" à emporter la plus célèbre des timbales. N'est-ce pas Queen L ?
Capitole, pour sa part, apprécie d'aligner ses battues rasantes, en tête, le long de la corde, ce qui n'est pas une sinécure sur la nouvelle piste de Vincennes. Ira-t'il aussi loin que dans le Prix de Bretagne qu'il remportait brillamment, au début du meeting d'hiver?
Cèdre du Vivier, quant à lui, s'affiche superbe. Bai brun foncé avec quelques poils blancs au front et plus à la base du naseau gauche, du charisme, des allures princières - il n'est pas sans rappeler le Seigneur des années 70, Tidalium Pelo , même s'il ne porte pas sa tête tout à fait aussi haut -, il possède de grands moyens comme l'indiquent sa place de quatrième dans le Prix d'Amérique 95, il semblerait aussi qu'un repos forcé de six mois lui est permis d'acquérir une plus grande maniabilité, lui qui avait tendance à tourner Joinville en troisième épaisseur, position rarement gage de succès dans un Prix d'Amérique. Réalisera-t'il ce que ses illustres prédécesseurs Fakir et Hadol n'ont pu mener à bien ?Vainqueur à la vitesse du vent, à l'âge exceptionnel de 4 ans, du Prix du Bourbonnais, la deuxième préparatoire à la grande date de l'année, Dahir du Prélong sera sans doute le plus jeune participant. Celui-là, il a du "cheval", ce qui ne se dit peut être pas mais il faut bien commencer un jour, en fait une sacrée classe. Léger dans son modèle comme dans ses allures, gentil, calme, signé par son papa, Fakir du Vivier, sans toutefois posséder sa célèbre encolure de cygne, Dahir peut marquer l'avenir de son empreinte. Il a de plus ce petit quelque chose qui rend sympathique, en l'occurrence un oeil rond, souligné, semblant fait au khôl, et une liste qui débute au milieu du chanfrein pour s'élargir jusqu'au naseau droit. Avec son toupet coupé court, cela lui donne un gentil air de clown. S'il gagne, ce joli bai pourrait fasciner la France, à l'image du précédent auguste, Idéal du Gazeau.
Très maquillé, Arnaqueur l'est également. L'oeil d'Horus ! Bourré de talent, il ne passe pas inaperçu dans un peloton. Levant haut les genoux, Arnaqueur n'a rien d'un esbroufeur tellement il martèle puissamment le sol. Même s'il n'a pas toujours eu la jambe heureuse, côté santé, Arnaqueur, s'il est en pleine possession de ses moyens, pourrait bien posséder quatre as dans son jeu, fin janvier.
Deux 7 ans, Balou Boy et Bonheur de Tillard tentent de faire oublier les retraites au haras du champion de la génération Buvetier d'Aunou et de la magnifique princesse de la vitesse Bahama. Balou n'a rien d'un ours à priori, cela dit je n'ai jamais dormi dans son box ! D'un modèle léger, bai brun foncé, levretté, trottant d'un air légèrement dédaigneux, il fut le beau vainqueur d'un Critérium des 5 Ans et s'offrit le luxe d'un crime de lèse-majesté en devançant Vourasie lors du Prix d'Eté 94. Cet hiver semble lui sourire comme en témoigne sa deuxième place dans le Bourbonnais.
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Bai brun harmonieux, Bonheur de Tillard marqua le pas, l'an passé, après un excellent Prix de Bourgogne où il aiguillonna Vourasie jusqu'au bout et une belle cinquième place dans l'Amérique. Considéré comme l'un des meilleurs chevaux d'âge français, un programme modéré, cette année, peut lui permettre, sur sa fraîcheur, de fournir sa meilleure valeur le jour J. Il vient d'ailleurs de prouver l'excellence de sa condition en s'imposant après un faux-train dans le Bourgogne cru 95. Face à cette élite française, une véritable armada étrangère est espérée sur le plateau de Gravelle.
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En tête de la distribution, noblesse oblige, la reine de l'an dernier, Ina Scot! L'air de ne pas y toucher, elle avait suivi ingénieusement Vourasie toute la course avant de sprinter victorieusement dans les cent cinquante derniers mètres. Au sulky de la célèbre brune, la blonde Helen Johansson réalisait là un coup de maîtresse. En effet, pour la première fois, une femme participait au prix d'Amérique. Ensuite, Ina Scot a plutôt déçu dans les joutes européennes de l'été. Comme l'an dernier, avant son triomphe...
Ina Scot
Vive le grand sport ! Zoogin va venir. Dans la valse des pouvoirs faisant actuellement frétiller l'Europe du Trot, n'est-ce pas lui toutefois qui mène la danse depuis qu'il a vaincu Copiad à plusieurs reprises ? Bai brun harmonieux, à la jolie tête expressive, doté de tenue et sachant finir à la vitesse du blizzard, Zoogin pourrait bien faire souffler un vent glacé de panique sur les crins de ses adversaires dans la ligne d'arrivée d'une course qui s'annonce mémorable.
Sous pavillon italien, deux tout bons purs américains pourraient participer avec de très jolies chances. Possédant plus de cadre que beaucoup de ses congénères, Bullville Victory, avant son importation en Europe, fut sans doute le meilleur trois ans U.S. de son année, faisant sien le World Trotting Derby, le Yonkers Trot et le Kentucky Futurity avant d'être mis hors course alors qu'il venait comme un gagnant dans l'Hambletonian de Victory Dream. Ces performances inspirent un profond respect, à l'image de la victoire de Crowning Classic sur les 2 100 mètres du Grand Prix des Nations à Milan, et ce sur le pied de 1' 13" 8 devant Copiad, Ina Scot et Houston Laukko.
Sous entraînement américain, S.J.'s Photo est aussi un sacré client. Impressionnant déménageur des pistes, roulant des mécaniques dans l'effort et doté d'un coeur immense, il est inconnu en France mais son driver voit en lui le meilleur trotteur du monde. En provenance également du Nouveau-Monde, le petit bai-brun Westgate Crown , notamment vainqueur aux Etats Unis de la Breeder's Crown des deux ans, pourrait bien nous rappeler le souvenir de Delmonica Hanover, cette fusée qui avait traversé l'océan pour venir exploser triomphalement contre la lice extérieure, devant le bel effaré Axius.
L'an dernier, l'élégant Shan Rags avait défrayé la chronique en pulvérisant ses adversaires dans le Prix de Belgique. Moins en verve quinze jours plus tard, la Norvège toute entière attend de lui, cette année, la stratégie inverse. De même, la Finlande espère du bai Houston Laukko, sagesse et pondération afin de préserver sa saisissante pointe de vitesse finale. En 1995, en effet, il s'était élancé au galop et avait tout de suite été distancé.
Le minuscule mais harmonieux Activity est également attendu après sa première place dans la Coupe du Monde de Trot.
Et Promising Catch dans tout cela. Courra t'il ? Imposant pour un trotteur d'origine américaine, portant l'homme avec bonheur, excellent troisième du Prix de France de Queen L, ses records outre-atlantique lui autorisent les plus hautes prétentions. C'est l'X de ce mois de janvier. A l'instar d'un certain Hymour, il y a quelques années.
Dimanche 28 janvier 1996, un cheval de gloire entrera dans la légende.
Vincent Le Roy
Publié dans EQUUS-Les Chevaux. Photos : Christian Richard