Le Cheval Bleu
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N.A. COLT, pur sang arabe le plus titré en France.

 

La Mémoire du Cheval Arabe

 

Ils s'appelaient Byerley Turk, Godolphin Arabian et Darley Arabian. Considérés comme de superbes spécimens dans leurs pays d'origine, ils furent, pourtant, totalement dénigrés à leur arrivée en Europe, la mode n'étant pas du tout aux chevaux exotiques, petits, véloces et fougueux.

 

 

 

The Godolphin Arabian, très vraisemblablement barbe.

Ainsi, Byerley Turk, cheval d'Orient de la plus pure race arabe, arrivé de Turquie sous Guillaume III vers 1700, se retrouva à la guerre, en Irlande et en Ecosse, sous la monte du capitaine Byerley. Rescapé, il saillit seulement quelques juments.

Pour sa part, Godolphin Arabian, vraisemblablement barbe, né en 1724, fut donné à Louis XV par le bey de Tunis; le roi de France en fit grand cas puisque l'anglais Croke le remarqua, quelque temps plus tard, attelé à un tonneau d'arrosage dans Paris.

Il fut alors envoyé en Angleterre à Lord Godolphin et utilisé tout d'abord comme souffleur (étalon qui passe devant les juments pour détecter celles qui sont en chaleur) avant qu'on lui laisse sa chance avec un petit nombre de "fiancées".

Enfin, Darley Arabian, très bel arabe de race Kochlani, né en 1705 au désert de Palmyre, fut envoyé en Angleterre à M. Darley par son frère établi près d'Alep. Sa vie fut moins mouvementée que celles de Byerley et de Godolphin, mais les juments qu'il saillit tout aussi modestes.



Rien ne prédisposait ces trois chevaux à entrer dans la légende.

Talent méconnu! Ironie génétique! Génie de sélection!

 

Aujourd'hui, qu'ils naissent en Argentine, en Irlande, aux Etats-Unis ou ailleurs, les plus grands chevaux de courses ou de sport portent leur sang. Ces trois petits chevaux d'Orient sont tout simplement les pères des pur-sang, ces bolides géniaux qui ont inspiré trois siècles d'artistes et de sportsmen. Dans les courses et dans les concours équestres.

Leur incroyable influence ne s'arrête pas là, puisque Godolphin Arabian et Darley Arabian sont également les ancêtres des trotteurs, français et standardbred. Selon Albert Viel, " les produits de Jiosco ont pour vingtième père, en lignée ascendante mâle, Darley Arabian et Fandango a pour aïeul Godolphin Arabian".

Quand Ourasi ou Coktail Jet triomphe dans le Prix d'Amérique, quand l'invincible Lammtarra "fait parler" son immense classe dans l'Arc de Triomphe ou le Derby d'Epsom, quand les grands pur-sang anglais, australiens ou néo-zélandais remportent les plus célèbres concours complets d'équitation, quand le Français Rivage gagne la médaille d'or à Montréal en concours hippique, là-bas dans le désert, un pur-sang arabe cligne de l'oeil dans le soleil, s'ébroue et dévale à toute allure la grande dune de sable. La mémoire du cheval arabe!

Kentucky, non loin de Lexington.
Dans les plus grands haras du monde, les plus célèbres étalons et poulinières se prélassent. Des hectares de liberté pour chaque étalon, une herbe tellement riche et verte qu'elle porte des reflets bleus. Nous sommes au coeur du Blue Grass, le pays des grands cracks.

Là, des yearlings se sont vendus 20 millions de francs. En 1984, en pleine euphorie, la saillie de l'étalon du siècle Northern Dancer s'échangeait aux alentours du million de dollars. Nulle part ailleurs, plus qu'ici, se ressentent le luxe et l'extrême importance accordés aux animaux les plus chers et les plus glorieux de notre civilisation.

Si Godolphin Arabian voyait vivre ainsi ses descendants, lui qui, naguère, traversa la Méditerranée à fond de cale...

Physiquement, l'influence arabe est moins marquée chez les trotteurs que chez les galopeurs qui présentent parfois un joli nez en trompette.

Hippodrome de Vincennes, temple mondial du Trot. Dans la ligne droite, Coktail Jet, fruit des amours entre un français et une belle américaine, se donne.
Ses allures sont aériennes. La tête ne bouge presque pas, ses antérieurs balayent le mâchefer de la piste à une fréquence prodigieuse, ses postérieurs repoussent le sol avec force.
La puissance à l'état pur, l'air de ne pas y toucher! Voilà pourquoi il donne l'impression de voler. Le cheval, sûr de lui, n'a pas besoin d'être commandé.

L'homme Jean-Etienne Dubois, sur son sulky, certain de la valeur de son crack, n'agit presque pas. Il l'accompagne, c'est tout. Nous sommes loin de l'errance de The Godolphin Arabian, dans les rues de Paris, quand le petit cheval tirait son tonneau d'arrosage, fouetté méchamment par un bourreau imbécile.

 

Prix d'Amérique 1996 : Coktail Jet contrôle Abo Volo.


Même si certains disent qu'un "cheval arabe ne saute pas un crayon", les descendants de nos trois compères ne font pas que galoper et trotter, ils sautent et du très gros. Rendez-vous sont pris au dessus de quelques uns des obstacles les plus impressionnants de la planète : le Becher's Brook et le Chair du Grand National de Liverpool, le Rail Ditch and Fence d'Auteuil. Frissons garantis en hommage au coeur et à la confiance que donnent à l'homme ces Seigneurs.

En Concours Complet d'Equitation, l'intelligence du terrain, la classe de galop, le courage des "purs" ou des croisés de pur-sang font des merveilles. Leur grande action fait trembler la terre.

Parfois sublimes, parfois à la limite de la rupture, à jamais compagnons de l'exception, hommes et chevaux "s'éclatent" dans une harmonie talentueuse qui, seule, peut leur permettre d'aller au bout.

Pour sa part, le concours hippique demande docilité, maniabilité et un gros "coup de saut" vertical, autant de qualités qui ne sont pas les vertus premières des "purs". Leur épaule oblique est là pour aller chercher le sol très loin et non pas pour se détendre au-dessus de barres à 1m 60. Ainsi, la plupart des grands chevaux de concours européens ne sont pas des pur-sang.

Beaucoup de champions sont, en fait, des croisés de pur-sang (Jappeloup, par exemple, est issu de pur et de trotteur). Ils portent, ainsi, indéniablement la marque des trois grands précurseurs arabes et la majorité des meilleurs restent, selon l'expression, "très près du sang", c'est à dire très près du pur-sang. Tout simplement parce que le pur-sang amène l'indispensable pour franchir les plus grandes difficultés : la Classe.

 

Jappeloup et Pierre Durand, champions olympiques.




Certains "purs" ont toutefois réussi au plus haut niveau, telle la merveilleuse et bien nommée A Touch Of Class, championne olympique à Los Angeles avec l'Américain Joe Fargis.

Dans le désert, un pur sang arabe s'est arrêté, superbe gravure. Les naseaux frémissants, il allonge son encolure, s'agenouille et, lentement, se roule dans le sable chaud.

L'approche de l'an 2000 est marquée par un événement d'importance dans le monde des courses. Les chevaux prodigieux font leur retour aux sources.

Pendant trois siècles, les pur-sang ont écrit les plus belles pages hippiques et équestres dans les pays industrialisés. Les vainqueurs de Derby ou d'Arc de Triomphe naissaient, puis étaient entraînés entre les Etats-Unis, l'Irlande, la France et l'Angleterre.

Un certain snobisme d'un savoir faire unique rendait improbable tout égarement géographique. C'était sans compter sur... le pétrole ! Cette chose, qui avait mis en péril tant de races équines, allait voler au secours de la mémoire de Godolphin Arabian, Darley Arabian et Byerley Turk, les plus célèbres des pur-sang arabes. Leur revanche, ils la tenaient. Comme un clin d'oeil du destin ! La fin d'une grande boucle débutée vers l'An de Grâce 1700.

Leur descendant, Lammtarra, (l'Invisible en Arabe), appartenant au richissime Cheikh Mohammed al Maktoum, passait l'hiver, au soleil, dans le désert de Dubai et, début juin 1995, un vent de sable chaud soufflait sur les Downs d'Epsom... Lammtarra remportait brillamment le Derby avant de récidiver dans les King George VI and Queen Elizabeth Stakes et dans l'Arc de Triomphe. Par ce hat-trick de victoires au plus haut niveau, il devenait le meilleur cheval du monde et rejoignait dans la gloire Ribot, Sea Bird et Mill Reef.

Sa préparation se déroula au centre d'entraînement ultramodeme d'Al Quoz, créé par Cheikh Mohammed.

Air conditionné, piscines, pistes au sol remarquable, tout a été étudié pour qu'Al Quoz devienne rapidement une plaque tournante extrêmement efficace dans la préparation des meilleurs coursiers. Les extraordinaires résultats de Lammtarra, mais aussi de Moonshell, Balanchine et Halling pour ne citer que les plus talentueux, en sont les garants.

L'ambition arabe s'affiche, chaque année, grandissante et, en 1996, pour la première fois, s'est disputée la Dubaï Cup, course la plus richement dotée au monde avec 4 millions de dollars.

"J'irai comme un cheval fou" se conjugue désormais merveilleusement dans les Emirats, dans la grande tradition arabe de la passion du cheval.

Imaginer Dubai devenir, dans un proche avenir, le centre du monde des pur-sang n'est pas une chimère.

Au fait, au nom de la mémoire, dans le plus pur esprit de la revanche sportive, savez-vous sous quelle appellation sont regroupés les pur-sang passant l'hiver dans le désert? Tout simplement, l'écurie Godolphin

Au sommet d'une dune, un pur-sang arabe s'ébroue, et sourit comme seul un cheval peut sourire.

 

Vincent Le Roy

 

 

Publié dans le Numéro 24 de la revue EQUUS Les Chevaux - Copyright photos: Christian Richard et K. Devilder

Contact auteur : vince.leroy@wanadoo.fr

 

En août 2003, l'organisation Godolphin, qui reste notamment sur deux sacres dans le Prix de l'Arc de Triomphe avec Sakhee, puis avec Marienbard, remporta son centième groupe I, près de Chicago, à Arlington Park, dans l'Arlington Million.