|
Le Cheval Bleu Coktail Jet, Leader des Etalons français Les grands étalons Défi d'Aunou et Cygnus d'Odyssée |
Le Mythe du Cheval Blanc
Au coeur du grand hiver, entre Noël et Mardi-Gras, existe une date incontournable: le dernier dimanche de janvier, jour du Prix d'Amérique. Le temps d'une frénésie, initiés et non initiés se retrouvent dans l'espoir d'admirer un digne successeur aux bêtes de scène que furent Jamin, Bellino II, Idéal du Gazeau ou Ourasi.
Ourasi et ses quatre Prix d'Amérique
Depuis longtemps déjà, la majorité des pur sang se sont recroquevillés dans leurs écuries princières de Chantilly ou d'ailleurs. Pour eux, c'est l'époque des travaux d'entretien. Les champions se baladent en forêt, une chaude couverture sur les reins, évitant suivant les jours, plaques de gel ou flaques. Un poil dru cache les muscles glorieux d'Hélissio, le cheval de l'année. A quelques milliers de kilomètres de là, les successeurs potentiels de Lammtarra et de Halling hument l'air sec du désert d'Arabie.
Seuls en exercice, quelques roturiers et apprentis sauteurs continuent de bosser dur sur les parcours sudistes de Cagnes-sur-Mer ou de Pau. Ces meetings connaissent toutefois, en plus de l'espoir d'une révélation, la joie de voir et de revoir les stakhanovistes de talent que sont Bedava et Or Jack.
Chaque fois qu'un grand cheval se présente et gagne, le spectacle des courses prend toute sa dimension et touche au merveilleux. Certes, Louve Royale n'est pas Royal Chance, Prodiger ou Matchou, mais la manière, avec laquelle cette grande carcasse de Bedava a joué avec elle l'autre jour, était ravissante et source d'émotions. Ce dimanche-là, la Méditerranée en a frémi.
Sinon l'hiver, le talent trotte... A la vitesse de la lumière. Vénérables et formidables aurores boréales, les trotteurs sont en piste dans le vent et les frimas.
L'an dernier, à pareille époque, des questions se posaient. L'élite européenne du Trot se cherchait un roi. Le précédent hiver de Paris-Vincennes avait été outrageusement dominé par les trotteurs scandinaves et les professionnels français pouvaient s'inquiéter devant l'impressionnante armada étrangère venue confirmer la donne. De très bons chevaux explosaient un peu partout. L'éventail s'ouvrait en attendant l'événement qui ferait rentrer dans le rang la majorité des prétendants : le sacre de l'Amérique.
Uranie, référence de l'entre deux guerres.
La course allait donner une réponse cinglante et sans appel. Un crack venait de naître.
Son étoffe est celle des plus grands. Son nom invite au décollage. Mélange détonant, il s'appelle Coktail Jet. Par ses victoires dans l'Amérique, le prix de France et l'Elitlop, Coktail Jet peut revendiquer la position flamboyante de meilleur cheval au monde. Il est le crack actuel. Il ne peut y en avoir qu'un.
Les cracks sont exceptionnels. Leur rareté fait rêver et leurs démonstrations en course ouvrent les portes dorées de l'imaginaire. Un de leurs muscles tressaillent et, en écho, diamants et rubis s'entrechoquent sur la poitrine d'une déesse sublime. Le mythe du cheval blanc ! Mythe de la perfection. Espoir de l'être unique.
Coktail Jet, ta carrière est désormais un défi fabuleux. Tes envols, course après course, dessinent une histoire particulière. Lentement, un chef d'oeuvre se façonne. Idéal du Gazeau, tes coups de tête et ton allure de clown furent légendaires. Toi, Bellino II, tu étais le bulldozer et Sea Cove un phare jaillissant de la plaine. Ourasi, le bel époustouflant, sera toujours le Roi Fainéant et Uranie, l'élégante épée infaillible. Toi, Coktail Jet, tu es le cheval volant.
Tes rushs dans les lignes d'arrivée t'ont rendu incontournable dans l'histoire mondiale du Trot. De plus, tu es le champion du suspense, par ta façon de te préparer sans forcer et par les scénarii de tes victoires. Ainsi, tu génères magistralement l'émotion, planant sur l'Amérique comme on annexe l'Elitloppet et triomphant dans le mile suédois en revenant de très loin. Tête et corde sur 2700 mètres devant Abo Volo. Sprint dévastateur crucifiant Zoogin sur 1609 mètres.
Coktail Jet, Pégase moderne.
Roi des chevaux, joue avec ton mors, cabotine! Qu'un peu de sueur glisse sur ton encolure et, toi, mon amour, reçois cette eau qui cambre un peu plus ton rein et le fait vaciller. Le mythe de l'absolu ! Mythe de l'amour total ! Mythe du cheval blanc!
Un crack fascine, parce qu'il touche les frontières de la magie et du rêve. Dans Underground ou Missing, des réalisateurs utilisent la symbolique du cheval immaculé. Unique, espoir mythique, image de pureté ou expression du bien assassiné. A la fois démesure et rédemption improbable.
Le cheval blanc... Une seule fois, je l'ai rencontré. Son immense beauté m'a paralysé. Je n'ai pas fui devant lui. Je n'ai pas eu peur. Je n'ai rien voulu détruire. Je suis juste resté sans voix et sans réactions.
Pour la première fois, je ressentais l'Amour. Ma naissance, enfin. Comme si tout ce que j'avais fait jusqu'alors trouvait enfin un sens.
Tour à tour songe, divinité, idéale illusion, aujourd'hui je l'imagine. Pourtant, parfois, je reviens dans le réel. Dans ces moments-là, si tu savais comme je me souviens parfaitement de tes traits...Mais, le "verre n'est jamais aussi bleu qu'à sa brisure". Grand crack, cheval idéal, tu te tiens sur un fil... Vénus de l'aube, encore accrochée quelques instants au dessus de l'horizon, tu t'éloigneras dans le soleil d'une nouvelle victoire. Tel un merveilleux et intouchable héros! Vénus du soir, tu brilleras de mille feux dans la nuit de la défaite.
Amours parfaites, chevaux invincibles, vous n'existez pas. Dogmes irréalistes, poésies d'aliénés, vous n'êtes là que pour brûler l'âme du tendre et, inéluctablement, le transformer en fou. Immuable prétention, offerte à tous et toutes, de se prendre pour un crack quand Eros fait briller les lumières de l'âme de l'autre.
Femmes et hommes de nos coeurs, vous êtes de chair et de sang. Chevaux prodigieux, vous l'êtes également. Les instants de fragilité, les moments de défaite vous honorent. Le droit à l'erreur existe. Une statue touche au sublime quand elle tremble sur son piédestal.
Le mythe du cheval blanc? Terrible défi! Comme entre deux humains qui s'aiment, il existe toujours un poil noir qui te définit cheval gris.
L'invaincu Ribot était-il invincible? Aurait-il battu Sea Bird? Dans les étoiles de mon inconscient, tous deux galopent à fond les ballons dans la même foulée que Mill Reef et Sagace.
|
Hélissio, ton Jockey-Club manqué t'a rendu accessible. Lammtarra, ton parcours trop parfait sidère et inquiète. L'éphémère sublime d'une météorite déstabilise. La trop grande beauté est suspecte. Les chevaux blancs n'existent pas. Pourtant la tentation est grande et l'appel au rêve immense.
|
Fatals, les grands galopeurs éblouissent même si leur fugacité les rend parfois presque irréels. Par opposition, les sauteurs et les trotteurs, aux carrières longues et jalonnées d'efforts, apportent des références très ancrées dans le réel. Sur les haies, même si Le Roi Thibault, Earl Grant ou Claude Le Lorrain ne purent faire oublier les fabuleux palmarès de Paiute ou d'Hardatit, la retraite anticipée de Kadalko ou l'accident de Chakhansoor, leurs performances inspirent l'estime et le respect.
Sur le Steeple-Chase, par contre, nous venons de vivre des années de gloire. A maintes reprises, quatre Seigneurs, quatre faiseurs de rêves ont ébloui les idéalistes. Epoustouflants d'aisance, dominant tellement les autres qu'ils les faisaient disparaître au-delà du Rail-Ditch, à quatre ils ont pris la relève de l'immense Katko en nous assenant une somme d'émotions jusqu'alors inconnue. Al Capone II reste le seul à se balader encore du côté de Lamorlaye avec un record de quatre prix La Haye-Jousselin (NDLR : sept désormais) dans son tapis de selle.
Cela pèse très lourd mais rien n'a d'emprise sur le petit crack à part l'ardeur du soleil de juin; en effet, Al Capone II est le seul des quatre à ne jamais avoir remporté le Grand Steeple-Chase de Paris (il en gagna un). De son côté, The Fellow désormais arrêté, galope librement pour trois...Aux noms de deux cracks extraordinaires: Ucello II et Ubu III...
Avez-vous déjà vu un cheval gris au départ d'une course de Trot? Cela est rarissime. Contrairement au galop où des pur-sang gris ont toujours magnifiquement tiré leur épingle du jeu, aucun trotteur gris n'a pu enlever un classique et ainsi tracer au haras. Les éleveurs n'ont jamais fait barrage; il s'agit d'un pur hasard. Il n'y eut tout simplement jamais de trotteur de la valeur des célèbres pur-sang gris Native Dancer - extraordinaire champion et chef de race, notamment connu pour être le grand père de Sea Bird -, Caro ou l'actuel Linamix.
Et le 26 Janvier prochain, bien sûr, aucun grisou ne se présentera au départ.
Les années se suivent et ne se ressemblent pas.
Face à l'émergence du crack Coktail Jet, l'éventail des grands chevaux s'est refermé. L'étude des plus importantes joutes européennes de 1996 incite à donner le classement suivant: 1- Coktail Jet 2- Zoogin 3- Abo Volo 4- His Majesty et Crowning Classic. Nombre de dauphins se sont retirés ou connaissent actuellement des problèmes. La gazelle Ina Scot est partie faire des bébés, de même que le bel Arnaqueur.
Contrairement à la jolie Suédoise, Vourasie n'aura jamais gagné la plus belle et l'Amérique 97 se courra également sans Cèdre du Vivier ni Dahir de Prélong.
Le rythme des compétitions s'affiche de plus en plus effréné et la longévité, qualité innée du trotteur, se trouve actuellement malmenée. Certes, les bobos ont toujours existé, mais sans doute jamais autant que depuis le début des années 90. Abo Volo, reprenant le flambeau des costauds célèbres, celui du Français fort, dur à l'effort et majestueux, doit être vu comme l'arbre solitaire cachant une forêt de soucis. Loin des ennuis de santé et des spéculations financières, Abo Volo est certainement le cheval le plus méritant de son époque. La musique de ses performances est une mélodie régulière. Devancé au plus haut niveau par Copiad, Ina Scot et Vourasie, puis par Coktail Jet et Zoogin en 1996, le tout bon Abo Volo recherche cette consécration qui lui manque et qu'espère tant son entourage. Au contraire de Coktail Jet, Abo Volo ne fait pas penser au cheval blanc, licorne légendaire et autres chimères fantasmagoriques, mais sa franchise et son honnêteté inspirent le plus grand respect. La course ne peut, pourtant pas, se résumer à un éventuel match à deux. |
Bellino II, Symbole du Trotteur français, si dur ... |
Zoogin ne viendra pas et son absence est regrettable car un véritable champion, à moins de s'appeler Mack Lobell, se doit d'être présent partout, sur toutes les distances, et de gagner l'Amérique... même à la rame dans les 100 derniers mètres, s'il le faut.
Bon sang ne saurait mentir! Les cracks sont exceptionnels. Une fois au haras, il faut leur faire confiance. Fleuron Perrine, meilleur trois ans actuel, vient de rendre hommage à Ténor de Baune, invaincu l'espace de trente courses. De même, l'Amérique 97 sera marquée par le retour du prodige Idéal du Gazeau par l'intermédiaire de deux de ses enfants scandinaves His Majesty et Lovely Godiva.
La propriétaire d'His Majesty, elle, n'a pas oublié. Elle enserre de bandes bleues les jambes fragiles de son champion. A l'image de papa. Vainqueur de l'International Trot 95 et second du Grand Prix d'Aby derrière Zoogin mais devant Abo Volo, His Majesty, au nom de Petit Bonhomme, a une bien jolie carte à jouer. Ainsi que Lovely Godiva qui s'affirme de plus en plus.
D'excellents seconds rôles prennent chaque année le départ de La course. Leur combat, héroïque et presque sans espoir, permet à la magie du crack d'opérer. Quand il s'envole, seul, relativisant le sprint de tous les autres qui semblent ne plus avancer et s'enfoncer dans le mâchefer ! Quand il domine tellement, accord subtil, riche d'une puissance extrême et d'une sublime élégance, apanage des plus grands!
Parfois pourtant, ô surprise, un figurant de haute volée, honoré d'être là, l'emporte. Ainsi triomphèrent High Echelon ou la fantasque Queila Gédé. Une course reste une course. Même celle-là.
Cette année, Balou Boy - ancien vainqueur classique en grande forme actuellement -, Bonheur de Tillard, Capitole - auteur d'une rentrée fracassante en dernier lieu -, Capriccio, Huxtable Hornline, Mr Spender et Destin de Busset seront, sans doute, parmi ceux qui rendront la fête encore plus belle. Ainsi que l'adorable et brillant Activity.
Restent les trois X de la course. Bons, ils le sont. C'est une certitude!
Très bons même. Mais, avant l'heure, leurs chances restent mystérieuses.
Meilleur six ans actuel, superbe vainqueur de critérium, bien attendu dans sa croissance, tout a été fait pour que Défi d'Aunou connaisse, un jour, la consécration. Fera-t'il flotter, dès cette année, ses crins lavés à l'arrivée de la plus grande course au monde?
Véritable bombe italienne, quasiment imbattable dans la Péninsule, immense spécialiste des courtes distances, Crowning Classic peut faire peur. Une grande question: peut-il gagner sur 2700 mètres face aux meilleurs?
Enfin, l'X des X, Cygnus d'Odyssée. Auteur d'une mémorable remontée, il avait remporté d'un naseau le critérium des quatre ans. D'autre part, rappelez-vous! Que se serait-il passé dans l'Amérique 95, s'il ne s'était enlevé dans le dernier tournant alors qu'il suivait comme son ombre la future gagnante Ina Scot? Difficile, délicat, ayant eu des problèmes de jambes, Cygnus d'Odyssée vient de jouer avec ses adversaires dans la Finale du Grand National du Trot. Il aura mis deux ans pour revenir, semble-t'il, à son meilleur niveau.
Fin Janvier, dix-huit merveilles rêveront du Cheval blanc... Mais il ne pourra y en avoir qu'un. Seul face à l'illusion.
Vincent Le Roy
Publié dans le Numéro 27 de la revue EQUUS-Les Chevaux
Copyright photos: A.P.R.H. (Uranie et Ribot) et Christian Richard
Contact: vince.leroy@wanadoo.fr