Concours d'attelage et Grand Dieu

Attelage à quatre en damier : les chevaux de robe semblable sont en diagonale.

 

Avec le retour du mois de Juillet, la Cité du Cheval s'enfièvre en se plongeant dans la préparation d'une prolifération de fêtes et de manifestations. Elles se bousculent avant la pause estivale. Les passants voient s'édifier sur la carrière du Chardonnet d'imposantes tribunes, prélude au Carrousel. Un autre pôle d'activité, bien plus discret, a pour site l'Hippodrome de Verrie : autour de ses pistes l'équipe de Jean-Jacques Mesnard, président de Saumur Attelage et de son bras doit Yannick Chatellier préparent le Concours International d'Attelage. Avant eux ce fut celle de Christian Egret et de Dominique Gautier qui y travailla. Au même moment, sur les panneaux publicitaires de la Ville fleurissent les affiches, au graphisme renouvelé chaque année, annonçant ces opérations.

Le Carrousel bénéficie bien sûr d'une primauté totale due à son ancienneté, son ampleur et à son indiscutable renommée. Le C.A.I. annuel de Saumur, réfugié dans le rôle de la violette, n'est devenu une étape obligée pour les amateurs d'attelage que depuis quelques années. Saumur a toujours réservé un bon accueil à l'attelage. Le souvenir d'officiers se rendant en ville aux guide de leurs voitures attelées à quatre chevaux flotte encore dans l'atmosphère. L'Ecole Nationale d'Equitation a toujours accepté que ses pistes servent au marathon du C.A.I. Une section "Attelage", dirigée par Vital Lepouriel, a exercé ses activités pendant plusieurs années dans ses murs.

Cependant, en plus d'apparaitre sur la même page du calendrier, un lien inattendu et plus fort a été tissé entre les deux évènements: de 1985 à 1991 les affiches officielles du C.A.I. ont été dues aux pinceaux de l'une des grandes vedettes des Carrousels d'antan, le colonel Margot, qui joint à sa haute compétence en matière équestre un grand don pour le dessin. Ce sont les originaux de ces affiches que nous vous présentons aujourd'hui. Ils nous ont été aimablement communiqués par Dominique et Elisabeth Gautier, férus d'attelage et grands admirateurs des talents du colonel.

Les Saumurois reconnaissent aisément, et avec quelle nostalgie !, la fine silhouette du colonel Margot lorsqu'il apparaît en public. Tout le monde se souvient qu'il a commandé la reprise du Cadre Noir dans le Manège des Ecuyers lorsqu'il était Grand Dieu écuyer en chef - seul pilier immuable, pour une durée qui a très exactement coïncidé avec celle de la quatrième République, d'un monde caractérisé par des gouvernements voltigeant allègrement. Puis, son temps achevé, il est devenu quelqu'un d'intemporel, une sorte de secrétaire perpétuel d'une Académie d'Equitation virtuelle fondée par Pluvinel, chevauchant les années sans effort au-delà de la barre de ses quatre-vingt dix ans.

 

 

Servons-nous de lui pour guide. Nous pénétrons dans une sorte de paradis du monde des chevaux : ceux qu'il reproduit sont toujours parfaitement beaux et "justes". Le décor dans lequel ils évoluent est plus vrai que nature. Quelle surprise pour cette discipline de l'attelage, aujourd'hui encore à peine reçue dans le beau monde : ce personnage à la rêne d'or, privilège de son rang, ce grand prêtre de la haute école, veut bien dépeindre les humbles tâcherons qui tractent nos équipages. Mais jamais, ou bien rarement en vérité, ont-ils été si élégants. Le colonel Margot a représenté un rêve auquel nous souhaiterions accéder, des carrossiers, des meneurs et leurs passagères sublimés. Et soudain, une petite touche d'humour vient chaque fois, en avant-plan, nous relier à la réalité et relever la sauce : un chien au regard fidèle, un pêcheur muni de son litron. L'attelage lui reste très reconnaissant de ce témoignage.

Sur une affiche, c'est un écuyer en tunique noire qui est aux guides d'une élégante paire dont les robes claires contrastent avec sa tenue. Sur la suivante, plus sportive, un attelage à quatre franchit un gué dans une gerbe d'éclaboussures. Un peu plus tard, le même team attelé en damier pénètre dans une propriété, que l'on devine nantie d'une allée sablée se courbant vers une façade de tuffeau blanc, en négociant adroitement la grille d'entrée. Les mondanités sont traitées par un autre sujet : accompagné d'une élégante, un officier se rend à une réception. Derrière ce couple, une ordonnance en tenue à brandebourgs occupe le siège du groom.

Quittant le visuel, cheminons un peu à ses côtés sur la voie des sources de son inspiration. Il nous faut, en remontant le temps, accompagner ce grand ancien au coeur des escarmouches fréquentes qu'il a livrées contre la marée insultante des basses valeurs, comme sa conduite constante tout au long de sa vie nous permet de l'imaginer.

Il semble qu'adolescent Margot a mal supporté l'atmosphère du Prytanée de La Flèche où ses parents l'avaient inscri t: le directeur de l'Ecole l'a expulsé en cours d'année, en "le remettant à la disposition de sa famille". Contraint d'aborder alors la carrière militaire en simple cavalier d'un régiment de Spahis, il apprend à se constituer un jardin secret à l'abri du train-train de l'obéissance quotidienne, un réflexe qui va aboutir à l'art en passant par le cheval. Il aboutit dans une autre école quine lui plait pas tous les jours: médiocre élève officier à Saint-Maixent, c'est dans la ville voisine d'Angoulême qu'il va se défouler en faisant passer le poteau en tête à sa monture. Une victoire prémonitoire.

Puis c'est le premier séjour à l'Ecole de Saumur, la découverte des grands maîtres, Wattel, Decarpentry, Lesage, leur exemple et leur enseignement tendus vers le perfectionnement continuel. A cheval, il représente la France aux Jeux Olympiques. Ses camarades voient bien, dès 1932, qu'il croque les chevaux du Manège et leurs cavaliers. Mais c'est lorsque Decarpentry lui confie les illustrations destinées à orner ses ouvrages didactiques qu'il s'applique à reproduire la précision du geste. Etape importante, qu'interrompt la guerre de 1939. Prisonnier de guerre pendant quatre ans et demi, sa lutte contre la chape de plomb des camps prend la forme d'une retour sur soi porteur d'idéaux élevés. Comme un signe de sa concentration intérieure, il va servir la messe d'un moine, son compagnon de captivité, tous les matins.

 

Deux chevaux attelés à un duc, une voiture de la famille des Victoria.


Appelé à remplir le poste d'écuyer en chef après la Libération malgré son modeste grade de capitaine, au moment où les écuyers tous militaires doivent se réhabituer au Manège après les trépidations de la guerre de 1939-1945, le pédagogue s'immerge dans le service. Ayant tant pratiqué et appris de diverses sources, il enseigne maintenant sans discours superflus et donne au Cadre Noir une impulsion inégalée. Intercalé dans la galerie des grands dieux entre Minvielle et Saint-André, son long règne sur le Cadre a marqué son époque. Son autorité silencieuse fait merveille au cours des reprises si proches de la perfection. Son torse frêle sanglé dans la tenue noire recèle une véritable lame d'acier, son visage impassible couronné par le lampion de tradition, il semble venir d'un autre monde, celui du sacerdoce équin total. Pourtant sous ce dehors de marbre il y a une grande sensibilité à laquelle il donne libre cours en dessinant.....

Les portraits de cavaliers qu'il réalise alors sont au millimètre près ceux des exécutants saisis à un moment d'exception. La position du corps et des membres du cheval, l'attitude de l'écuyer sont autant d'illustrations super-exactes des postures qu'inspire de là-haut un Saint Georges, patron des cavaliers.

Vrai cavalier et soldat dans l'âme, aucun autre décor n'aurait davantage convenu à la vie de Margot que la belle ville de Saumur, où il s'est d'ailleurs fixé aussitôt la retraite. Enjoleuse, cette région de l'Anjou sourit aux militaires d'active autant qu'à ceux du cadre de réserve. C'est aussi une ville qui a beaucoup de classe. Qui penserait que cette petite cité de province, prosaïque, sans liaisons directes avec l'extérieur - l'autoroute qui va la desservir est tracé, mais pas réalisé - peuplée parait-il depuis l'ère balzacienne de personnages picaresques, fasse ainsi rougeoyer la braise et étinceler la flamme de la cavalerie ? Vu de l'extérieur de l'Anjou, vu de l'étranger, on ne s'y trompe pas: malgré le rejet du cheval vers sa périphérie avec la création de l'E.N.E. à Terrefort, l'animal cabré sous son cavalier noir demeure le symbole de Saumur.

Les transformations et les innovations défilent ainsi sous les yeux d'un Margot, maintenant au repos : l'arrivée des civils au Cadre, le statut du 21 Janvier 1989, l'assujettissement au ministère de la Jeunesse et des Sports, qu'importe ! A l'abri dans son monde secret, le colonel pense que ces tourments sont un motif supplémentaire pour se battre contre les imperfections de l'univers en fourbissant ses deux armes familières: le souci de la perfection et le cheval. Les concours d'attelage arrivent à Saumur, il les salue avec son inlassable amabilité. Il accepte volontiers de représenter pour eux des équipages de rêve.

Les plus beaux des chevaux en action hantent son inconscient en permanence et en sortent pleinement préparés. En effet, dès qu'il se penche sur son chevalet de peintre, il dessine et peint avec une extrême rapidité. Une vieille habitude du regard : le moment parfait passe comme un éclair. Il faut le saisir afin de le restituer. De cette manière, non content de nous avoir offert en son temps la belle rigueur des apparitions du Cadre sous son commandement, il entreprend ensuite de nous en montrer des illustrations.

Et quant à ceux qui ne connaissent pas encore ses capacités de peintre équestre et qui ont manqué l'exposition de 1994, organisée par le colonel François de Beauregard, également ancien écuyer en chef, où les tableaux de Margot proclamaient un don suraigu de l'observation, ils pourront se racheter sous peu en regardant les pages d'un album, qui sera bientôt publié, reprenant les oeuvres exposées.

Enfin pour conclure en revenant dans le domaine vivant de l'attelage, les meneurs ne doivent-ils pas s'obstiner à prouver que les images idéalisées signées Margot, qui ont orné ces affiches, ne sont pas de pures fictions, mais un but ?

 

Paul de Brantes

 


Publié dans le numéro 22
- spécial Saumur - d'EQUUS - Les Chevaux

 

Illustration 2 : Un speader-phaëton en bois verni. Le Colonel Margot s'est inspiré de la voiture de Jacques Baston-Lavauzelle lorsqu'il a participé au Championnat du Monde à deux chevaux à Sandringham, la résidence d'été de la reine mère.

 

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